Attention au bail dérogatoire : les précautions nécessaires devant être prises par le bailleur
Qu’advient-il du bail dérogatoire lorsque le preneur est laissé dans les locaux à l’expiration de celui-ci ?
Si la caractéristique principale du bail principal est de conférer au locataire le droit au renouvellement de son bail ou, à défaut, une indemnité d'éviction ; le législateur a néanmoins prévu une dérogation à cette règle.
En effet, l'article L 145-5 du code de commerce permet de déroger au bail commercial de 9 ans, à condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans, lors de « l'entrée dans les lieux du preneur ».
A titre préliminaire, il convient de dissocier le bail dérogatoire de la convention d’occupation précaire.
Alors que le bail dérogatoire est prévu par la loi, la convention d’occupation précaire est une création jurisprudentielle.
Selon la Cour de cassation, la convention d'occupation précaire se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances exceptionnelles et pour une durée dont le terme procède d'un fait ou acte extérieur à la seule volonté des parties (Civ. 3e, 19 nov. 2003 : Bull. civ. III, no 202; D. 2003. AJ 3051 ; voire également Civ. 3e, 9 nov. 2004 : Bull. civ. III, no 195; D. 2004. AJ 3139 précisant que la convention d'occupation précaire doit être caractérisée par des circonstances particulières autres que la seule volonté des parties constituant un motif de précarité).
A la différence du bail dérogatoire, le terme de la convention d’occupation précaire n’est donc pas fixé et correspond en général à un événement qui peut intervenir à tout moment.
A titre d’exemple, le propriétaire peut être amené à conclure une convention de ce type dans l'attente d'une expropriation pour cause d'utilité publique ou de travaux de démolition différés.
S’agissant du bail dérogatoire à proprement parler, ses conditions sont fixées par l’article L 145-5 du code de commerce qui limite expressément la durée du bail dérogatoire à 24 mois.
Le bail dérogatoire présente un double intérêt pour le propriétaire : d’une part, il ne confère au locataire aucun droit au renouvellement (ni indemnité d’éviction) ; d’autre part, en cas de signature d'un second bail, le loyer de ce dernier n'est pas plafonné comme dans le cas du bail commercial.
Toutefois, malgré sa souplesse apparente, le bail dérogatoire est à manier avec beaucoup de précautions pour le bailleur.
En effet, l’article L 145-5 du code de commerce encadre de manière stricte le bail dérogatoire, et ce afin d’éviter que certains propriétaires l’utilisent pour échapper au statut des baux commerciaux, très protecteur des droits du locataire.
Sur les précautions à prendre lors de la signature du bail dérogatoire
Pour que le bail dérogatoire soit valable, les parties doivent avoir exprimé clairement leur intention de déroger au statut des baux commerciaux.
A défaut, le propriétaire court le risque de voir requalifier le bail dérogatoire en bail commercial.
La Cour de Cassation a par exemple jugé que:« La simple mention d'une durée inférieure à deux ans dans le contrat ne suffit pas à caractériser la volonté des parties de déroger au statut des baux commerciaux, lorsque les autres clauses, charges et conditions sont conformes au statut des baux commerciaux. Il doit résulter de l'économie du contrat une volonté claire et non équivoque des parties de se soustraire au statut » ( Civ, 3ème 2 février 2005, n° 03-19541).
Ainsi, il est conseillé de rédiger les clauses du bail avec clarté et précision. Il est par exemple possible de viser expressément l'article L 145-5 du code de commerce dans le contrat (Civ. 3e, 25 juin 1986 : Rev. loyers 1986. 358).
Par ailleurs, l’article L 145-5 du code de commerce précise clairement que le bail dérogatoire est conclu « lors de l’entrée dans les lieux du locataire » ou lors de son renouvellement.
L'entrée dans les lieux vise la prise de possession des locaux en exécution du bail que le locataire a conclu avec le propriétaire, peu important qu'il les ait déjà occupés antérieurement en vertu d'une sous-location autorisée. (Civ. 3e, 15 avr. 1992: Bull. civ. III, no 129).
La cour d’appel de Paris interdit en outre la conclusion d'un bail dérogatoire à la suite du bail commercial (Paris, 30 janvier 2013, n° 11/04161).
Il n'est donc possible de signer un bail de courte durée que lors de l'entrée dans les lieux du locataire, mais jamais à la suite d'un bail commercial de 9 ans.
Sur les précautions à prendre au terme du bail dérogatoire
L’article L 145-5 du code de commerce dispose : « Si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre ».
La jurisprudence constante considère que « Si, à l'expiration du bail dérogatoire, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les articles L 145-1 et suivants du code de commerce » (Civ. 3e, 8 oct. 1986: Bull. civ. III, no 135 ; CA Versailles, 15 avr. 2010 : AJDI 2010. 723; CA Rennes, 23 nov. 2010 : AJDI 2011. 143 ; CA Douai, 10 févr. 2011 : AJDI 2011. 445 ; CA Toulouse, 14 juin 2011 : AJDI 2012. 350 ; CA Nîmes, 8 nov. 2012 : AJDI 2013. 437).
Il convient de préciser qu’à défaut d'accord entre les parties, le loyer du nouveau bail commercial est basé sur la valeur locative du bien (Civ. 3èmechambre civile, du 14 décembre 2005, n° de pourvoi : 05-12587 ; Civ. 3ème 5 février 2008, N° pourvoi 06-21.999).
La période d’expiration du bail dérogatoire appelle donc la plus grande vigilance de la part du propriétaire !
Toutefois, la jurisprudence admet, dans certaines conditions, que le bailleur puisse échapper l’application du statut des baux commerciaux.
En effet, la Cour de cassation a récemment jugé qu’il appartient au bailleur souhaitant échapper au mécanisme de l'article L 145-5, de manifester, avant la date contractuelle d'expiration du bail, sa volonté de ne pas poursuivre sa relation contractuelle avec le locataire. La charge de la preuve de cette manifestation de volonté lui incombant, aucune clause du bail ne peut avoir pour effet de dispenser le bailleur de faire connaître au preneur son opposition à son maintien dans les lieux en cours d'exécution du bail (Civ. 3e, 4 mai 2010: D. 2011. Pan. 1786).
Ainsi, le locataire ne peut par exemple bénéficier d'un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux lorsque le bailleur a exprimé sa volonté de s’opposer à la reconduction du bail et d'obtenir la restitution des clefs (Civ. 3e, 22 mai 1986: Rev. loyers 1986. 374).
Il en est de même lorsqu'il résulte de la convention des parties, que le bailleur s'est opposé à ce que le preneur bénéficie du statut des baux commerciaux (Civ. 3e, 15 mai 1996: Ann. loyers 1996. 1391 ; CA Nîmes, 13 oct. 2011AJDI 2012. 670).
La jurisprudence admet en outre que le preneur puisse renoncer au bénéfice du statut des baux commerciaux en pleine connaissance de cause au jour de la signature d'un nouveau bail d'une durée inférieure à 2 ans (Civ. 3e, 20 févr. 1985: Bull. civ. III, no 39; JCP 1986. II. 20639).
Il résulte de ce qui précède que si le bail dérogatoire présente un intérêt non négligeable pour le bailleur (cf supra), celui-ci doit néanmoins être conclu prudence.
Lors de la signature ou du renouvellement du bail dérogatoire, vous devez donc veiller d’une part à rédiger de façon expresse et non équivoque les différentes clauses, notamment celle relative à la renonciation au statut des baux commerciaux ; et d’autre part, à ne pas laisser le preneur en possession des lieux à l’expiration de celui-ci.
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